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FUTURES FORUM

« Les mid-size trouveront des opportunités de succès en visant de plus petites cibles de patients, mais dont les besoins ne sont pas encore couverts. »

Un laboratoire pharmaceutique de taille moyenne peut-il être compétitif et résilient dans un environnement aussi concurrentiel et en constante évolution ? 

Pour répondre à cette question, la rédaction d’Insights a interrogé Mathieu Lamiaux, Managing Director and Senior Partner au Boston Consulting Group, et Jérôme Klein, Head of Corporate Strategy chez Servier.

Mathieu Lamiaux : S’il n’existe pas de définition officielle de ce qui caractérise une « mid-size pharma », ces profils d’entreprises présentent malgré tout de grandes similitudes.

On pourrait s’en tenir au seul chiffre d’affaires, qui se situe généralement entre 1 et 5 milliards d’euros, mais ce serait réducteur. Les « mid-size pharma » peuvent présenter différents profils – acteur local ou global, spécialisé ou « multi-métiers » – mais ce qui les distingue vraiment des Big pharma et des biotech réside plutôt dans leur structure capitalistique. Ce sont majoritairement des entreprises familiales, ou patrimoniales, souvent gouvernées par une Fondation et la plupart ne sont pas cotées en Bourse.

Ce dernier point leur confère un rapport au temps très différent de celui des Big pharma. Sans pression actionnariale, elles affichent une approche adaptée au temps long du processus de développement d’un médicament. Indépendantes des fluctuations du marché, leur stratégie repose plus sur une logique de « transmission ».

En outre, les « mid-size » ont toutes en commun le fait d’aspirer à maîtriser la chaîne de valeur du médicament, des activités de R&D, en passant par la production, la commercialisation et la distribution. En contrôlant davantage la chaîne du médicament, il s’agit pour elles de renforcer leur crédibilité, leur indépendance mais aussi de miser sur l’excellence opérationnelle et la connaissance de cette chaîne de valeur comme point de différenciation.

À l’inverse, les biotechs maîtrisent généralement une seule étape, préférant se spécialiser dans la recherche « early stage ». Dernièrement, les Big pharma ont démontré une certaine volonté de se séparer de leurs activités de recherche, au profit de stratégies d’acquisition d’actifs à haut potentiel en phase finale de développement, générant plus rapidement un retour sur investissement. 

M. L. : Je dirais que le premier défi auquel est confronté un acteur « mid-size » est sa taille. En effet, l’industrie pharmaceutique est un secteur mondialisé, où les besoins sont généralisés. Les effets d’échelle sont importants, notamment sur le volet de la production, de la distribution ou encore de la recherche pour la réalisation d’études cliniques ou le recours aux nouvelles technologies. Dans ce cadre, la taille devient un avantage compétitif non négligeable, notamment au regard des budgets que consacrent par exemple les Big Pharma à la R&D, qui sont de l’ordre de 10 milliards d’euros par an. Des montants plus élevés que les chiffres d’affaires de la plupart des acteurs mid-size !

Grâce à leur large pipeline, les probabilités de succès des « Big » sont ainsi potentiellement plus élevées que celles des acteurs mid-size. Avec un pipeline généralement moins étoffé, ces derniers n’ont pas le droit à l’erreur dans leurs investissements.

Il faut comprendre que dans cet environnement, les règles du jeu sont les mêmes pour tout le monde, bien que tous ne partent pas avec les mêmes atouts ou les mêmes chances.
C’est pourquoi, les acteurs mid-size doivent être capables de maximiser chacune des opportunités qui se présentent à eux.

Jérôme Klein : Pour une entreprise de taille moyenne comme Servier, un tel environnement impose en effet de jouer intelligemment afin de continuer à innover durablement.

Nous nous trouvons au cœur de nombreux défis : l’urgence d’innover, l’obligation de naviguer dans un contexte géopolitique complexe, la nécessité d’ajuster notre empreinte industrielle, mais aussi des acteurs toujours plus nombreux.

Pour se distinguer de nos concurrents, notre stratégie Servier 2030 repose sur nos atouts afin de pouvoir relever les défis à venir et tirer profit de chaque opportunité qui se présente à nous.

Pour ce faire :

  • Nous tirons parti de notre présence géographique globale pour répondre aux besoins des patients partout dans le monde, non seulement en cardio-métabolisme et maladies veineuses (CMVD) où nous sommes un leader historique, mais aussi en oncologie.
  • Nous spécialisons notre pipeline pour devenir plus résilients. Nous investissons près de 70 % de notre budget R&D dans l’oncologie, où nous avons l’intention de devenir un acteur innovant et de premier plan, en particulier dans l’oncologie de précision.
  • Nous nous concentrons sur l’innovation ouverte en R&D et nous nous appuyons sur la croissance collaborative et externe ; un levier essentiel pour accélérer la R&D. Grâce à cette stratégie, notre portefeuille en oncologie compte désormais sept médicaments contre des cancers difficiles à traiter et notre pipeline est particulièrement robuste, avec pas moins de 35 projets de R&D en oncologie (à janvier 2024).
  • Enfin nous nous appuyons sur notre spécificité – être gouverné par une Fondation. Notre indépendance est un facteur d’attractivité car nous nous inscrivons dans le temps long. Ainsi, le patient est l’ultime bénéficiaire de nos actions, et les projets que nous menons sont porteurs de sens.

M. L. : Les opportunités se retrouvent dans la capacité d’un acteur mid-size à oser aller là où les autres ne vont pas.

Les mid-size trouveront des opportunités de succès en visant de plus petites cibles de patients, mais dont les besoins ne sont pas encore couverts. Mais également en investissant dans des zones géographiques où d’autres acteurs ne sont pas encore présents. Cette approche leur permet de maximiser leur impact, non seulement auprès des patients, qui voient enfin parfois naître un traitement, mais aussi auprès de leurs partenaires en se distinguant dans un marché de niche. Bien entendu, pour que cette stratégie soit couronnée de succès, il faut exceller dans son exécution.

En cela, Servier est un bon exemple, car ce groupe a su se mobiliser et trouver des solutions gagnantes. Il s’est par exemple appuyé sur l’empreinte géographique de son portefeuille historique pour développer de nouvelles activités dans des marchés parfois difficiles à pénétrer, là où d’autres compétiteurs ne se lancent pas compte-tenu du niveau élevé du risque d’échec.

Enfin, dans la chasse aux assets, une biotech est souvent plus encline à transmettre son actif à une mid-size avec qui elle aura pu échanger directement avec le top management, et où elle est convaincue qu’il y sera valorisé. En effet, pour une start-up, se séparer d’une innovation, c’est une forme de renoncement. Les acteurs mid-size, du fait de leur structure à taille humaine et de leur vision long terme, offrent l’assurance que leur asset sera entre de bonnes mains.

J. K. : Vous l’avez mentionné, Servier a su s’appuyer sur ses piliers historiques pour développer son expertise en oncologie.

En 2017, nous avons initié notre transformation pour devenir un acteur reconnu dans cette aire thérapeutique, particulièrement dominée par des Big Pharma. Grâce à notre empreinte mondiale en cardio-métabolisme, notre leadership scientifique, notre audace et notre approche résolument tournée vers les patients, nous sommes parvenus à nous lancer avec succès dans ce marché compétitif qu’est l’oncologie, en nous positionnant sur les cancers difficiles à traiter dont les besoins des patients sont encore peu ou non couverts.

Enfin j’aimerais rebondir sur un point important soulevé par Mathieu : notre attractivité. Je suis convaincu que le fait d’être gouverné par une Fondation dont le bénéficiaire ultime de notre action est le patient, mais aussi le fait d’être une entreprise non cotée, à taille humaine sont des atouts considérables dans notre capacité à attirer et développer les talents. C’est aussi un facteur clé qui permet aux collaborateurs de se projeter sur le long-terme au sein du Groupe.

M. L. : La taille des mid-size constitue à la fois un défi et une opportunité. En effet, elles sont certainement tout aussi profitables que les Big Pharma, à partir du moment où elles trouvent « l’angle mort » dans lequel l’effet de taille n’est plus un inconvénient.

  * rapport Deloitte « Measuring the return from Pharmaceutical Innovation 2021 »