La réduction des émissions : un défi de taille
L’industrie pharmaceutique fait face à un double défi. D’une part, maintenir une grande qualité de soin pour les patients, alors que la population mondiale est vieillissante – notamment dans les pays développés – et a donc davantage de besoins de santé. D’autre part, limiter ses impacts environnementaux.
L’industrie pharmaceutique représente, en effet, 4,4 %1 des émissions mondiales de CO₂ , et bien plus dans les pays développés (7,6 % aux États-Unis, 6,4 % au Japon et 5,4 % au Royaume-Uni, 5,2 % en Allemagne2). 75 %3 de ces émissions sont des émissions indirectes, liées à la chaîne de valeur : production, transport, appareils médicaux, équipements et technologies, instruments…
En cas de statu quo, les choses pourraient rapidement empirer : l’empreinte carbone de l’industrie pharmaceutique pourrait tripler d’ici à 20501 en l’absence de toute action.
Pour réduire ses émissions tout en restant performant, le secteur pharmaceutique a plusieurs options, en particulier une optimisation de sa chaîne de valeur et un recours aux innovations de rupture.
Première étape : optimiser la chaîne de production
La majorité des émissions est liée à la chaîne de valeur, c’est donc là que résident les premières opportunités de décarbonation. Une première piste consiste à relocaliser la production des médicaments pour produire au plus proche du lieu de consommation, ce qui permettrait à la fois de décarboner et de répondre plus rapidement aux besoins des patients.
Selon Mathis Egnell, ingénieur, chargé du programme santé auprès du Shift Project, un laboratoire d’idées qui travaille sur l’atténuation du changement climatique et la réduction de la dépendance de l’économie aux énergies fossiles, particulièrement au pétrole, indiquer le contenu carbone de chaque médicament serait d’ailleurs une bonne idée.
« Le NHS britannique (NDLR le système de santé public du Royaume-Uni) a créé une feuille de route pour embarquer ses fournisseurs dans ce sens : à partir de 2028, il prévoit de rendre la publication du contenu carbone d’un médicament pour que celui-ci puisse avoir accès au marché anglais. La France se dirige vers la même chose. Il serait toutefois encore plus pertinent d’agir ainsi à l’échelle de l’Union européenne, pour que cela ait davantage de portée. »
Un autre moyen de décarboner la chaîne de valeur est d’opter pour des modes de transport, des énergies, des bâtiments plus écologiques. Par exemple, quatre des 15 sites industriels du groupe Servier utilisent désormais 100 % d’électricité renouvelable, produite par des panneaux solaires sur site ou issue d’un approvisionnement extérieur.
Mathis Egnell
Mathis Egnell est ingénieur de projet au sein du think-tank The Shift Project et spécialiste des enjeux énergie climat en santé. Il y pilote actuellement le projet de décarbonation des industries de santé et travaille depuis plus de 3 ans sur les actions à mettre en place au niveau du secteur de la santé et de l’Autonomie pour baisser les émissions de gaz à effet de serre.
En termes de transports, Servier privilégie désormais l’usage du fret maritime pour acheminer ses médicaments. En 2022-2023, 57 % de ses flux intercontinentaux ont été transportés par bateau, soit une hausse de 12 % du transport maritime et une baisse de 4 % du transport aérien par rapport à l’exercice précédent.
Deuxième étape : IA et écoconception, des innovations pour décarboner la santé
La décarbonation de l’industrie de la santé, et en particulier de la production de médicaments, peut également s’appuyer sur des technologies de pointe, qui promettent des gains d’efficacité importants.
Par exemple l’intelligence artificielle générative peut être utilisée pour accélérer le temps de développement des médicaments. Cette technologie peut en effet servir à repérer les molécules les plus prometteuses et simuler leurs interactions à différentes échelles, avec des approches par phénotype (l’ensemble des traits observables d’un organisme) et par génome (l’ensemble du matériel génétique d’un organisme). On peut ainsi à la fois démultiplier les candidats possibles au statut de médicaments et réduire les risques d’échec.
Une étude menée par Nvidia et Recursion Pharmaceuticals a par exemple permis de tester en une semaine une quantité de molécules qu’il aurait fallu 100 000 ans4 pour tester avec les méthodes traditionnelles. L’entreprise Insilico Medicine a de son côté utilisé l’IA générative pour développer un médicament contre une maladie pulmonaire. Elle affirme que l’usage de cette technique lui a permis de développer sa solution technologique en deux ans et demi au lieu de six et de diviser le coût par dix.
L’intelligence artificielle peut aussi être utilisée pour améliorer la pose de diagnostic, donc limiter le gaspillage (car un patient correctement diagnostiqué est plus vite soigné), par exemple dans le cadre d’une endoscopie et de la lecture de radios. Une étude suédoise a ainsi prouvé que l’usage de l’IA pour assister à la lecture de mammographies permettait aux radiologues de détecter 20 %5 de cancers du sein supplémentaires.
des nouveaux médicaments conçus grâce à l’écoconception en 2030
L’écoconception des médicaments est également une piste sérieuse. Elle passe notamment par l’usage de la chimie verte dans la synthèse des médicaments, ou encore, en fin de la chaîne de valeur, par le choix de matériaux écologiques pour les emballages. C’est le principe du programme EcoDesign de Servier, lancé en 2020, avec pour objectif d’atteindre 100 % des nouveaux médicaments intégrant des principes d’écoconception dans leur packaging d’ici à 2025 et 100 % des nouveaux médicaments conçus grâce à l’écoconception en 2030.
En combinant ainsi optimisation des processus existants et innovation de rupture, il devient possible de soigner tout aussi bien, voire mieux, avec un impact sur l’environnement beaucoup plus faible. À condition d’adopter une démarche holistique et que tous les acteurs de l’industrie collaborent dans cette optique. Heureusement, la prise de conscience du défi s’accélère et de nombreux pays se mobilisent pour verdir les soins apportés à leurs populations. Le Département de la santé américain entend réduire ses émissions de 50 % d’ici à 2030 et atteindre la neutralité d’ici à 2050. La NHS britannique ambitionne de son côté d’atteindre la neutralité dès 2040 et la question de la décarbonation se pose aussi dans des pays comme l’Inde, la Chine et le Japon. En continuant à gagner en efficacité et à innover, l’industrie pharmaceutique constituera un allié précieux pour l’atteinte de ces objectifs.
« La transformation durable de l’industrie pharmaceutique représente un défi sans précédent qui appelle des réponses uniques. En effet, les programmes de R&D et les processus de fabrication sont soumis à des réglementations strictes. Ces priorités en matière de sécurité limitent notre flexibilité et toute modification de nos pratiques prend du temps. Nous cherchons en permanence à atteindre le parfait équilibre entre les objectifs écologiques, les intérêts des patients et les exigences pour la santé. Pour y parvenir, un alignement des stratégies et une collaboration tenant compte des intérêts et des perspectives de toutes les parties prenantes est nécessaire (patients, fournisseurs et partenaires). »
- Shuo Wang Responsable RSE, Servier
[1] UPSTREAM SCOPE 3 EMISSIONS ACROSS THE PHARMA INDUSTRY, mai 2023
[2] THE PHARMACEUTICAL INDUSTRY’S CARBON FOOTPRINT AND CURRENT MITIGATION STRATEGIES: A LITERATURE REVIEW, IPSOR annual 2023
[3] Accelerating the transition to net zero in life sciences, McKinsey, août 2023
[4] Forbes : https://www.forbes.com/sites/bernardmarr/2024/06/19/how-generative-ai-is-accelerating-drug-discovery/
[5] RSNA Artificial Intelligence Evaluation of 122 969 Mammography Examinations from a Population-based Screening Program : https://www.thema-radiologie.fr/actualites/3239/nouvelles-preuves-de-la-pertinence-de-l-ia-pour-le-depistage-du-cancer-du-sein.html